Le XXIe siècle : le siècle du chagrin

  Jusqu'à la fin du XXè siècle, soit le 31 décembre 2000 pour les ignares, nous avons vécu une vie de rêve avec les enfants. Le passage de l'enfance à l'adolescence se fit beaucoup moins brusquement pour Maureen que pour Fiona, pour laquelle nous avions dû, pour des raisons impératives , postposer médicalement. Pour le reste, les différences s'accentuaient entre les deux soeurs. Maureen, plus sociable, se fit beaucoup d'amis et Fiona, par sa timidité naturelle, avait plus tendance à être une "suiveuse" dans ce domaine qu'une meneuse. Par contre, elle était beaucoup plus fine une fois ces rapports établis, son intérêt pour la nature et la science, ainsi qu'un certain don pour "manipuler" ses petits camarades, dément l'affirmation catégorique selon laquelle dans les jumeaux, il y a toujours un "dominant" et un "dominé". Maureen, de nature plus entière, n'était pas exempte d'une certaine naïveté et se laissait souvent embobiner par le petit Machiavel aux cheveux blonds. Comme disait ma femme "Fiona, c'est la tête, Maureen les jambes". Mais dans l'ensemble, c'étaient deux petites jeunes filles parfaitement intégrées à leur quartier et à leur école du moment. Même lorsqu'elles étaient encore des fillettes, on pouvait les emmener chez des amis, où leur attitude sage et joyeuse était appréciée. J'étais très fier d'elles: les années aidant, elles évitaient tous les écueils (drogue, entre autres) et le seul vice qu'on ne put leur éviter, c'était le tabac : nous-mêmes fumons tous les deux.

Pourtant, quelques attitude de Fiona ne laissaient pas de m'inquiéter : alors que Maureen "flirtait" en tout bien tout honneur avec les garçons, ce qui à notre avis n'avait rien de répréhensible si on ne dépassait pas certaines limites avant la majorité sexuelle, Fiona semblait se désintéresser de la chose. Pourquoi ? lui demandai-je une fois. "Sont trop bêtes", me répondit-elle,"ils me traitent d'intello". Je ne m'inquiétais pas outre mesure, me disant qu'elle finirait bien par tomber sur un moins "bête" que les autres.

C'est en 2000, la dernière année du siècle, que les premiers nuages se firent voir à l'horizon. Ces nuages venaient, nom pas du cercle familial direct, mais bien du cercle familial plus étendu. Il faut vous dire que je suis fils unique et la différence d'âge entre ma mère et moi n'était que d'une vingtaine d'années. Fiona appréciait particulièrement sa "mamy", en dépit de certaines petites disputes dues plus à des conflits de génération que d'autre chose. Et voilà mamy qui se met à maigrir, à se sentir mal. Prises de sang et examens ne révélèrent aucun cancer, certains examen gastro-entérologique furent bâclés, sauf le dernier, qui montrait un problème au pancréas qui devait être absolument opéré. Malgré la lourdeur de l'opération, et l'état d'extrême faiblesse de ma mère, on décida l'intervention le 23 janvier 2001. Et c'est ainsi que commença le XXIe siècle...

 

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 24_janvier_2001

28_juin_2001

 2_mars_2002

Sans_compter_les_autres

Et_Fiona_dans_tout_ça ?

 Un_nouveau_départ

Mais le_pire restait encore à venir

 


24 janvier 2001

 

Le 24 janvier 2001, à 17.00h, je reçois un coup de téléphone. A l'autre bout du fil, un toubib qui me dit que l'intervention s'est très mal déroulée et que ma mère était en train de mourir. Elle avait 67 ans. Immédiatement je pense à mon pauvre père qui va se retrouver tout seul après 47 ans de vie commune : mes parents m'ont toujours donné l'exemple d'un couple très uni et très aimant. J'étais très proche de ma mère, que j'aimais, et qui m'adorait. Elle avait à peine 20 ans quand je naquis. Vous imaginez ma douleur. Malgré tout, j'essaye de mettre mon chagrin personnel dans ma poche avec mon mouchoir par-dessus et je préviens mes filles, ainsi que mon épouse à son bureau. Nous débarquons tous chez mon vieux père, déjà au courant de la situation (c'est lui qui a demandé à l'hôpital de me téléphoner). Nous embarquons dans la voiture et filons vers la clinique, dans l'espoir de pouvoir lui dire un dernier adieu. Lorsques nous arrivâmes, il était trop tard. "Voulez-vous voir le corps ?" demande l'infirmier. Mon père acquiesce et je vois. Je vois une chose hideuse, jaunâtre, gonflée comme une outre, du sang et diverses sanies s'écoulant du nez et des oreilles. Je reste cloué sur place, à l'entrée. Ma femme aussi. Mon père, aveugle à ce qu'était devenue sa femme, s'approche, l'embrasse sur le front. Mes filles s'approchent  et regarde la... chose qui était tout ce qui restait de ma mère. Cette chose, j'ai voulu la chasser de mon esprit. Dans sa jeunesse, ma mère était une très belle femme. J'ai découvert une photo où elle avait à peine 30 ans (et moi 10). Elle était alors au sommet de sa beauté. C'est cette photo qui orne la plaque cinéraire sous laquelle ses cendres reposent. C'est cette photo qui figure sur les folios-souvenir que j'ai moi-même composés et imprimés. Pendant de longues semaines, nous avons tous essayé d'apporter du réconfort à mon père. Maureen et Fiona avaient perdu leur mamy...

Retour en haut_de_page     28_juin_2001

 


28 juin 2001

 

Depuis quelques années, le père de ma femme commençait à avoir un comportement bizarre: crises de colère, incompréhension. On ne s'en était pas rendu compte immédiatement car, outre le fait que son travail sur chantier l'avait rendu sourd, il  avait un tempérament particulièrement "soupe au lait", tout en étant un homme pétri de bonté et de générosité (ma femme a de qui tenir...). Mais avec le temps, force fut de nous rendre compte du fait que ces "bouffées de colère"devenaient de moins en moins raisonnables et trahissait un trouble cérébral grave. Alzheimer ? Paranoïa ? Les médecins ne se sont jamais prononcés. Au mois de mars-avril, en dépit des réserves de mon épouse, mon beau-frère et ma belle-mère décidèrent son placement dans un home fort peu éloigné de son domicile, afin de ne pas le dépayser. Il s'en échappa plusieurs fois pour "retourner" à la maison et à chaque fois, on avait toutes les peines du monde à lui faire réintégrer son home. Pour finir, il cessa de lutter et s'éteignit le 28 juin 2001. Pour Maureen et Fiona, il avait toujours été un grand-père plein de douceur et de tendresse. La dernière fois que Fiona lui rendit visite, un mois avant sa mort, elle eut la douloureuse surprise de voir que son grand-père ne la reconnaissait même plus. Qu'il était devenu une étrangère pour elle. 4 mois après avoir perdu leur grand-mère, mes filles avaient perdu leur "nonno"...

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2 mars 2002

 

En septembre 2001 de la même année, nous décidâmes de changer Maureen et Fiona d'école pour leur deuxième cycle. Nous jetâmes notre dévolu pour un grand établissement d'enseignement liégeois émanant de la Communauté française. La suite nous apprendra que ce n'était pas une bonne idée. Pas une bonne idée du tout. Si Maureen, comme à son habitude, parvenait à s'intégrer avec plus ou moins de facilité, Fiona était beaucoup plus réticente. 

 Pendant ce temps, mon père (que l'on voit ci-contre plus jeune et plus heureux avec sa petite-fille Fiona dans les bras), restait un veuf inconsolable. Je ne dispose pas à l'heure actuelle de photo plus récente de lui, mais il n'est plus que l'ombre de l'homme que vous voyez sur cette image. Il avait déjà subi un accident cardiaque en 1980, à l'âge de 50 ans. Le 2 mars 2002, nous l'amenons à un banquet. L'apéritif était interminable. La station debout prolongée. Soudain, mon père s'écroule comme une masse. On le transporte à l'hôpital le plus proche, puis de l'hôpital au CHU de Liège. Verdict : quintuple pontage cardiaque nécessaire. Heureusement, mes filles n'étaient pas présentes pendant le malaise de leur grand-père. L'opération réussit, mais le réveil fut pénible. Maureen et Fiona eurent l'occasion de voir leur papy à l'hôpital, sur son lit de souffrance, comme on dit. Comme toujours, les réactions étaient différentes : plus spontanée pour Maureen, plus "à retardement" pour Fiona, qui n'aimait, qui n'aime toujours pas, montrer ses sentiments.

Au retour de mon père au foyer, je dus jouer mon rôle de fils unique : mon père est un homme extrêmement méfiant qui n'accorde pas facilement sa confiance à un étranger. Ce fut donc moi qui dut jouer les garde-malades, mais nous avions deux adolescentes à notre charge, et le changement d'école leur occasionnait des difficultés. Mon épouse, sa bru, et moi, nous nous sommes relevés l'un l'autre pour veiller mon père, l'aider, le laver, lui donner les soins dont il avait besoin. Cela dura longtemps, jusqu'en mai. Et mon père n'avait rien d'un patient facile. Pendant cette période, je crois m'être comporté comme un bon fils, et mon épouse lui fut dévouée comme s'il s'agissait de son propre père. Mais notre rôle de parents de parents pendant ces deux mois cruciaux ? Etions-nous suffisamment disponibles? Je crois en toute sincérité que la réponse était "non". Et c'est sans doute le seul reproche que l'on pourrait nous faire.

Une  incidente en passant : imaginez l'état d'esprit d'un père cardiaque, pleurant encore sa femme, qui apprend que des salauds accusent son fils unique de pédophilie et d'inceste...

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Sans compter les autres...

 

Mis à part le dernier drame, où la faux de la vieille anorexique n'est pas passée loin, cette page se met à ressembler furieusement à une rubrique nécrologique. Les deux premières années du XXIe siècle furent celles de l'hécatombe. Outre les exemples cités plus haut, il y eut une tante à ma femme, que celle-ci aimait autant que sa propre mère (et nos filles la considéraient carrément comme une troisième grand-mère), un oncle à moi, un frère de ma mère, chez lequel j'ai souvent passé mes vacances d'été étant gosse et que j'aimais beaucoup, sans compter d'autres décès, qui nous touchaient moins que ceux précités, mais tout de même! Certes, des deuils dans les familles font partie des choses de la vie, mais, en temps de paix, à des intervalles aussi rapprochés, il est évident que ce n'est pas précisément bon pour le moral. Notre petite famille subit donc de sacrées secousses, qui en auraient déstabilisé plus d'une, mais nous avons tenu bon collectivement. Sur le plan individuel, pourtant, se dessinaient les prémices d'un drame plus grave encore, sans lequel cette page, et le site tout entier, ne se trouverait pas sur le Web.

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Et Fiona dans tout ca ?

Après la mort de ma mère, Fiona resta quinze jours sans dire un mot. Sa sœur l'entendait souvent pleurer, toute seule sans la salle de bains. La dernière visite à son grand-père maternel (son "nonno", ma femme étant d'origine italienne),qui ne la reconnaissait plus,lui causa un choc supplémentaire. Le changement d'école ne lui plut pas et lorsqu'elle crut perdre son papy en prime, cela n'arrangea pas les choses. Fiona se mit à adopter une attitude anti-sociale, refusant de répondre aux professeurs, malgré les objurgation de Maureen que les enseignants, attendris (c'est du moins ce que nous croyions, la suite de l'histoire va apporter un cinglant démenti à cette illusion) appelaient, "la petite Maman". Nos visites répétées chez les enseignants, nos explications quant aux périodes infernales que nous avons tous passés, ne semblaient guère les intéresser. Nous exhortions Fiona à ne pas se marginaliser de la sorte, que cela ne pouvait que lui apporter des ennuis. Rien à faire: elle était aussi butée qu'une mule. Nous finîmes par découvrir certaines choses : culpabilité quant à certains propos un peu vifs échangés entre Fiona et sa grand-mère (paix à ses cendres, mais cette dernière les avait amplement mérités), mais également une profonde remise en question d'elle-même : elle se disait moins belle que sa soeur, elle était trop grosse (elle pouvait se permettre de perdre quelques kilos, mais de là à la comparer à Rose Ann Barr...). Elle souffrait également d'un sérieux problème d'acné.  Bref, elle ne s'aimait plus, et partant, elle éprouvait des difficultés à aimer les autres. Disons-le tout net, Fiona se payait une déprime, à la limite de la dépression, déprime amplifiée par tous les changements venus en elle et inhérents à son adolescence.

Les résultats scolaires de Fiona furent catastrophiques. Ceux de sa soeur, elle-même ébranlée par tous ces évènements dramatiques s'étant succédé en cascade, ne l'étaient pas moins.

La fin de la convalescence de mon père coïncidant avec les examens, nous décidâmes de calmer le jeu. On les aiderait dans la mesure de nos possibilités (anglais, français). Elle feraient ce qu'elle pourraient, mais si elles redoublaient, ce ne serait pas grave : nous consacrerions nos vacances à les remettre sur pieds, toutes les deux, afin qu'elle fassent des étincelles l'année scolaire prochaine.

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Un nouveau départ pour une nouvelle année scolaire

Nous ne sommes pas partis en vacances. Nous avons consacré l'essentiel de notre temps à essayer de comprendre le problème de Fiona. Cette différence de beauté, toute relative d'ailleurs, s'expliquait par un léger surpoids. Plutôt que de consulter des diététiciens, des techniciens de la bouffe, c'est auprès d'un vrai médecin nutritionniste que nous avons demandé conseil. Celui-ci mit peu de temps à mettre le doigt sur le problème : le fameux médicament qui avait provoqué l'interruption de la puberté précoce de Fiona. Le régime (peu contraignant), et un abonnement pour deux pour des bancs solaires firent merveille : l'acné de Fiona disparut. Son teint de blonde se fit teint de miel, et elle pouvait se rendre compte que si elle différait profondément de sa soeur, elle était tout aussi belle.

Pour la guérir de sa timidité, rien de tel qu'un "job"! Avec l'aide d'amis, nous lui trouvâmes quinze jours de travail, bien payés, chez un des glaciers les plus réputés de Liège. Et c'est là qu'elle fit la connaissance de quelqu'un. C'était un étudiant d'origine marocaine, nettement plus âgé qu'elle (27 ans) qui terminait une spécialisation en océanographie à l'Université. Comme je l'ai dit plus haut, Fiona n'est pas, comme sa soeur, passé du flirt-jeu à des choses plus sérieuses, et elle se mit à prendre cette relation très au sérieux. Pour notre part, nous nous méfiions, non pas spécialement parce que c'était un Arabe, mais la différence d'âge nous rendait inquiets : Fiona allait juste sur ses seize ans. D'aucuns nous objecterons que nous aurions dû mettre un terme à une relation aussi déséquilibrée, mais qui dit interdit dit perte de contrôle. Mis à part un regard assez fuyant, le gaillard était du reste sympathique. Et puis Fiona rayonnait : elle se sentait belle, elle avait la pêche, c'était une toute autre jeune fille. Même Maureen, d'un naturel plus méfiant, ne trouvait rien à dire à tout ça : "'Faut bien qu'elle se rattrape" disait-elle. Ma femme m'ayant offert un nouvel appareil photo, je me mis à la photographier sous plusieurs angles, ce qu'elle ne voulait pas au départ, mais elle vit les résultats avec plaisir.

Ya pas de film dans l'appareil ? Tu le jures ? Ben...

Fiona jouant avec le chien (détail)

Maureen, toute différente, mais tout aussi jolie. Dommage de devoir cacher de si jolis visages...

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Mais le pire restait encore à venir

Pourtant, nous avions un dernier sujet d'inquiétude : avant sa puberté, Fiona souffrait de violents maux de tête. Un EEG auprès d'une clinique donna des  résultats peu probants. Mais à la puberté , Fiona avait souvent  de violentes syncope, et elle tombait comme une marionnette dont on avait coupé les fils. Ces chutes sans contrôles lui occasionnèrent des bleus, voire même à deux reprises d'impressionnants hématomes à la pommette. A tel point que je la plaisantais en lui disant qu'à l'école, on allait croire que je la prenait pour un punching-ball. Le fait est qu'au cours d'éducation physique, l'enseignante s'enquit auprès de Maureen avec une certaine inquiétude des bleus et de l'hématome de sa soeur. Se souvenant de ma plaisanterie, Maureen expliqua au professeur l'origine du beau cocard à la pommette. Nous prîmes rendez-vous chez un neurologue réputé de la province, qui n'était pas satisfait de l'EEG et proposa une observation plus prolongée, 24 h, afin d'écarter tout risque de syncope "à caractère épileptiforme".

Malgré ce petit "couac", à la rentrée, les professeurs et les élèves retrouvèrent une Fiona resplendissante, une Fiona qui en voulait prendre l'option "maths fortes" l'année d'après, étudier la génétique, rien que ça. Outre ses poèmes, elle désirait parfaire son dessin, aussi l'avions nous inscrite à l'Académie des Beaux-Arts pour les cours de mercredi après-midi. Toujours pour lui donner de l'assurance, nous lui avions trouvé une petite troupe de théâtre amateur et elle se réjouissait d'y aller. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si quelque chose clochait, il y aurait toujours le recours possible à un psychologue, mais vu la pêche de Fiona, cela ne s'avérait absolument pas nécessaire. Son premier contact avec le théâtre aurait dû avoir lieu le jeudi 19 septembre en soirée. Elle n'irait jamais. Au contraire, elle ferait la connaissance de ce que ce pays a de plus bas et de plus vil. Elle ferait connaissance avec le mensonge et la cruauté déguisée en aide sociale . .. sur simple dénonciation du petit ami dont nous comprenions enfin le regard si fuyant...

Les évènements du 19 septembre 2002     Retour en haut_de_page    retour au sommaire